Eléments de linguistique structurale et fondamentale


Jean-Claude PontLe verbe « rêcher »

ou une page de folklore anniviard

Nous nous proposons dans cette leçon d’examiner les origines et la signification profonde du verbe rêcher et de ses dérivés : rêche, rêcherie, rêchée, rêcheur. Dans son sens propre, il était utilisé par le dialecte du Val d’Anniviers pour désigner cet outil commun qu’est la scie. S’inspirant de la monotonie et de la périodicité du son et du geste, la sagesse populaire d’abord, les linguistes ensuite, s’en sont servis par analogie afin de signifier une activité de détente pour qui bien des gens de cette vallée s’emploient avec un zèle soutenu.

Rêcher c’est essentiellement redire un grand nombre de fois, et peut-être davantage, la même chose à un partenaire qui vous répond à chaque coup ce qu’il avait déjà répondu les fois précédentes, les protagonistes ne parlant d’ailleurs pas du même sujet.

Notons au passage deux cas extrêmes. Un bon rêcheur, dans une rêcherie de valeur, est susceptible de rêcher seul; à l’opposé, il est possible de rêcher en groupe, ce qui nécessite bien sûr autant de thèmes que de rêcheurs. D’une manière générale, la rêcherie ne commence qu’après d’importantes libations et peut se terminer brutalement quand l’un des rêcheurs s’étant reconnu dans son opposant décoche cette phrase tranchante, brutale et irréversible : « Tais-toi ma rêche ».

L’analogie mentionnée ci-dessus est plus importante qu’il n’apparaît. Ainsi, au geste du bûcheron qui arrose son outil à intervalles réguliers afin qu’il ne chauffe répond celui du rêcheur, commandant une nouvelle bouteille pour éviter à son organe d’irréparables outrages. A tout prendre, la seule différence tangible tient à ce que le scieur change de morceau après chaque entaille, tandis que pour le rêcheur c’est déchoir que d’aborder un objet nouveau. Signalons encore les importantes mais secrètes démarches entreprises par des notables d’Anniviers afin que l’Académie homologue le vocable dont il est question. Ils appuient leur juste revendication sur une théorie nouvelle et séduisante. Comme les établissements publics sont des lieux où l’on rêche le plus volontiers, les anciens Anniviards les auraient appelés des Rêchetaurants. Ce terme, repris par un voyageur, aurait donné notre restaurant actuel, après des modifications que les linguistes expliquent parfaitement aujourd’hui.

Un fois leur raison d’être parés de cette officialité, les rêcheurs pourraient se regrouper en confrérie et même chuchote-t-on dans les milieux informés, placer leur destin sous la houlette d’un saint patron qu’on invoquerait par la supplication : «  Rêchez pour nous ».

On ne saurait mieux faire pour conclure cette brève étude que de redire avec l’un des plus grands rêcheurs d’Europe centrale : « Ah! si tous les rêcheurs du monde voulaient se donner la main quelle rêchée nous ferions ».

Jean-Claude Pont

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