Faits d’hiver à Zinal

Jean-Claude Pont

L’histoire que je résume ici, il y a longtemps que je voulais la dire. Mais de négligences en oublis, le temps a fini par couler dessus. C’est la douce insistance pépiniesque qui m’y a finalement décidé.

C’était un samedi de février 2001, froid et neigeux. A Zinal on vaquait comme à l’accoutumée. La petite population du village était tout occupée au service des touristes, qui avaient inondé la station. Les quelques inactifs se traînaient d’une pinte à l’autre, à la bonne vôtre par-ci et santé par-là. ç’aurait pu être un week end comme les autres, avec tout ce va-et-vient de saison. La nuit allait tomber tôt, c’est son habitude à la nuit à cette époque de l’année. Et puis la nouvelle ! Une avalanche s’est abattue au fond de la vallée à quelque quatre kilomètres du village. Elle a emporté des alpinistes engagés dans une cascade de glace. Quatre kilomètres, dont trois en des lieux fermés à la circulation, par une nuit sans lune. Eh bien, tous les gens valides et disponibles de la station ont suivi le guide responsable du service avalanche de Zinal, sans réserve, sans hésitation, par petits groupes.

C’était par une nuit sans lune, quand la neige tombait drue, ils étaient plus de dix, équipés avec les moyens du bord, qui se sont hâtés vers les lieux du drame, pour porter secours. Ensuite les ont rejoint (en voiture de Sion, car l’hélicoptère ne pouvait pas voler) quatre guides de la Maison François-Xavier-Bagnoud du sauvetage ; et, avec eux, d’autres bénévoles encore. Sur place, on n’y voyait flocon, le phare de la dameuse venue en renfort était tombé en panne, on pataugeait dans une couche épaisse. La neige qui s’était accumulée en haut, et que la première coulée n’avait pas libérée, menaçait. Et puis, cette neige s’est ébranlée, sérieusement, avec la violence qu’elle sait mettre dans ses actes. Plusieurs personnes sont ensevelies, d’autres sont projetées de gauche et de droite. Trois guides sont sous la neige, deux d’entre eux décéderont sur le champ, au champ d’honneur. Le troisième, Jean-Christophe Genoud, est retrouvé par un chien, vivant. Le miracle a permis que les gens du village et deux guides, chahutés par la neige, soient sortis indemnes. Indemnes ? Le corps oui, mais l’esprit ?

Le lendemain, qui était dimanche, reposait encore sous l’épaisse couche, le corps du guide Edy Gros et celui d’une jeune fille. A nouveau, plusieurs équipes d’une dizaine de personnes chacune, toutes du village, se rendirent sur les lieux pour sonder l’avalanche, qui livra les corps. L’insigne bêtise de grimpeurs inconscients, a ainsi  amené au tombeau trois personnes – une jeune fille et deux guides – à la fleur de l’âge, et jeté la désolation sur des familles entières.

Renouvelant ainsi, sans le savoir, une très ancienne tradition de ce pays de montagne, de ce pays tout illuminé par la haute montagne, la petite population de Zinal s’était portée, sans réserve, au secours de gens en détresse, à l’image de ces anciens guides que j’ai connus et qui s’en allaient par tous les temps en colonne de secours porter de l’aide, c’était le temps d’avant l’hélicoptère, un temps que j’ai aussi, dans une modeste mesure, vécu comme guide.

Le vrai héroïsme ne consiste pas à passer quelques heures sur un court pour gagner des millions, ou à tenir un rôle dans un film à succès qui rapportera gros. Non, l’héroïsme véritable, il est dans le geste gratuit de simples citoyens, qui engagent leur vie pour venir en aide aux personnes en détresse, sans hésitation, sans tergiverser, sans se poser de question.

Les guides Edy Gross et Nicolas Gaspoz ont laissé leur vie dans l’aventure. Quant aux trois autres, Jean-Christophe Genoud, responsable du service avalanche de Zinal, Stéphane Oggier médecin-guide et Gérald Maret, ils l’on vue passer de près, la grande faucheuse.

C’était un week end de février, à Zinal proche du glacier !

Jean-Claude Pont

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