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Michel Theytaz

Et, soudain, ce train fou

Nous sommes le 12 décembre 1917. A onze mois près, ce sera la signature de l’Armistice à Rethondes. Il précède le traité de Versailles qui mettra fin à la Grande Guerre qui verra plus d’une quarantaine de nations être engagées sur tous les fronts !

Ce jour-là, à quelques jours de la Fête de Noël, sur la ligne ferroviaire entre Modane et Bardonnèche au Piémont, va se jouer un épouvantable drame. Près de Saint-Michel de Maurienne, à la porte du tunnel de Monte-Cenis, dénommé également tunnel de Fréjus, un train dont les commandes de frein ne répondent plus, dévale la pente à une vitesse folle et s’abîme en contre-bas. A son bord, il n’y a que des permissionnaires regagnant leurs unités ou leurs foyers… Il y aura 425 morts, victimes sans combat de la Grande Guerre. Durant longtemps, l’on occultera cet évènement tragique ou on le passera dans les dossiers estampillés du sceau « Secret-Défense Nationale ». Evidemment, pour un esprit froid, qu’est-ce cela face aux millions de morts tombés au « champ d’honneur ». Mais chaque mort est unique et, surtout là, aussi inutile qu’inexplicable !

A mes yeux, c’est sans doute l’une des « allégories » parmi les plus terribles illustrant l’engrenage du conflit. Où sont les vrais responsables, quels sont les faits politiques ou économiques ayant pu mener à l’abominable hécatombe. Bien difficile d’y apporter une réponse cohérente au travers des milliers de livres parus sur la question. Depuis le 28 juin, jour de l’attentat de Sarajevo, tout va se lier dans un sinistre jeu de dominos inextricable et inarrêtable !

Deux images fortes

Par leur contraste, par leur « antinomie » la plus complète ! Ici, c’est un cortège d’étudiants et de jeunes mobilisés, sur la Pariser Platz à Berlin. Ils sont en train de « hurler » leur joie face à la déclaration de guerre de l’Allemagne. De plus, des deux côtés, se faisant face, l’on est persuadé que le conflit sera court, peu meurtrier et, surtout victorieux… On sait ce qu’il advint dans les faits ! Là, c’est le corps d’un soldat français qui vient d’être « soufflé » par l’explosion d’une mine et qui est demeuré pris dans les branchages d’un arbre. Ces deux clichés sont terribles dans leur symbolique : ils montrent l’absurdité de la guerre et la fin programmée de cette « grande illusion » !

Des conceptions d’un autre temps

Du côté français également, l’on semble presque joyeux de monter au front ! « Ce sera court, vous verrez bien ». Dans les départements, essentiellement ruraux, bourgs et villages se vident de leurs forces vives et, dans leur grande majorité, sont quasiment laissés à l’abandon. Les enrôlés auront tôt fait de connaître la guerre des tranchées où reculer de quelques mètres signifie « abandon de poste » et sera passible du conseil de guerre avec, bien souvent, le peloton d’exécution dans une clairière, au bout du chemin !

D’un autre temps est l’équipement de la troupe, cible idéale : pantalons garance, képi au lieu du casque, manteau d’un bleu vif avec des boutons dorés, brillant au soleil.

Et, sorti d’un autre siècle, subsistent encore des … cuirassiers ! Ils chargent, à cheval, avec une lance. Le plus célèbre d’entre eux sera l’écrivain Louis-Ferdinand Céline, blessé au front lors d’une mission commandée. Mais, ce jour-là, il est à pied.

Relevons toutefois les immenses mérites des soldats Français. Ils sont courageux,  au bout de leurs Forces dans les combats, en un mot « héroïques » mais ils devront « faire avec » comme l’on dit ! Un immense mémorial, en forme d’anneau, leur rend hommage pour la postérité !

D’un autre temps est l’armement à disposition : c’est lourd, peu maniable, manquant d’engins mécanisés : il faudra attendre encore trois ans pour voir les premiers chars blindés entrés en lice… Quant à l’arme personnelle, il s’agit du fameux Lebel. Avec sa baïonnette, il mesure près de deux mètres et se montrera peu efficace. Quand il s’agit de courir dans les tranchées qui, par force, ne sont pas rectilignes, il s’avèrera peu utile et, surtout, encombrant !

D’autre part, c’est la première fois, lors d’un conflit entre nations que seront utilisés les abominables gaz mortels ! Si les tout premiers (le chlore) sont nettement visibles et odorants, les seconds (phosgène et ypérite) sont indécelables, le soldat se trouve démuni face à ce nouveau péril !

D’un autre temps semblent être les commandants en chef de l’armée… Tous sont nés dans les années 1850 : Foch, Pétain, Nivelle, Joffre, Franchet d’Espérey. Ancrés solidement entre eux, ce sont des principes d’attaque et de défense qui s’apparentent fort souvent à des batailles de siège ou d’ouvrages de défense. Du reste, limogeages et permutations dans les divers postes ne surprendront personne !

Coquelicots et bleuets : l’on n’oubliera jamais !

Les Britanniques honorent par des coquelicots leurs disparus : on dit que c’est la première fleur qui pousse après la fin du conflit. Quant aux Français, ils confectionnent encore aujourd’hui des bleuets, de la couleur de leurs uniformes et de l’horizon qui doit apparaître enfin libéré et radieux. Et puis, l’on n’oublie pas que sur la Somme – qui fut la bataille la plus meurtrière et non pas Verdun – plus de soixante mille hommes gisent encore avec, pour seule sépulture, une terre mille fois retournée et désolée pour toujours.

C’est aussi le lieu de rappeler que la Suisse, consciente de sa mission humanitaire, accueillit plusieurs milliers de soldats belges et français, souvent pour leur ultime séjour terrestre. Chaque année, le 11 novembre, une cérémonie du souvenir se déroule à Sierre ou et Martigny, sous l’égide de l’ambassade de France et du consul honoraire Monsieur Etienne Barrault, basé dans la capitale valaisanne…

Non ! On n’oubliera pas !

                                                                                        Michel Theytaz, Noës

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