Lettre à mon mécanicien et à mon carrossier

Je vis dans une vieille voiture  du siècle passé, bien conservée apparemment, mais quand même une vieille voiture…

J’ai essayé de la garder en bon état, malgré quelques petits problèmes… Elle était très bien faite, solide, bien réglée, tout marchait à la perfection. Mais je devais faire attention au moteur, à l’alimentation d’eau, à la qualité de l’essence, etc…

Mais surtout, il fallait la ménager, ne pas rouler trop vite, ne pas trop la charger de bagages encombrants, etc… La couleur était joyeuse, mais aujourd’hui les bosses et les petits accrocs ont fait des vilaines taches… Il y a même des marques de rouille que je maquille tous les matins…

Aujourd’hui, si je compte à partir du moment où je l’ai reçue, jusqu’à ce jour, cela fait huitante ans et plus, que je l’utilise chaque jour ! Imaginez que je m’en suis servie toute ma vie… pour aller à l’école, pour me marier, pour les enfants, pour la famille et aussi pour les amis. J’ai beaucoup voyagé, avec toujours le but final de rentrer à nouveau dans mon garage.

J’ai eu des problèmes, pourtant. Il y a une quarantaine d’années, j’ai cassé un essieu, et le garagiste a mis un certain temps pour la réparation. Plus tard, c’est le carburateur qui faisait des siennes, et là aussi il a dû changer quelques pièces. 
Puis, les phares se sont mis à clignoter, et ça, ça été le plus difficile. Ils ont essayé, mais les pièces étaient trop vieilles, impossible de les changer. 
Depuis, je roule plus lentement, j’hésite quand je croise un autre véhicule, je ne sais si c’est un camion-remorque ou une petite voiture… alors, je m’arrête et le laisse passer… 
Les sièges aussi sont fatigués et ils gémissent quand quelqu’un se lève ou qu’il s’assied…

Les portes ferment encore, mais laissent passer le froid… Il y en a une qui ne s’ouvre plus du tout.
Le coffre est plein de vieux souvenirs et il ne sert plus à grand-chose, qu’à transporter une vieille jaquette au cas où il ferait froid… 
Au début j’étais fière de ma carrosserie, je faisais même hurler mon klaxon…
Mais surtout j’ai réussi à transporter tout mon entourage, même parfois assez loin.

Cette mécanique a aujourd’hui au compteur un âge vénérable, et je sens qu’elle va bientôt lâcher prise.

Le matin quand on me met en route, je peine, je cale, je crachote, je grince. Puis une fois hors du garage, je roule doucement, en route pour une nouvelle journée…

Dites-moi mon cher carrossier, ça ne vaut plus la peine de faire des frais? On va essayer de rouler comme ça, cahin-caha, vous resserrerez quelques boulons, vous donnerez une goutte d’huile là où ça grince trop fort, vous colmaterez les fuites, et vous regonflerez mes vieux pneus! Je sais que la direction est un peu faussée, mais j’essaye quand même d’aller droit…

Je vous promets de rouler plus doucement, de ménager ce vieux moteur…

Si je casse complètement, que je reste au bord d’une route, eh bien, ne vous en faites pas. Je vais rejoindre les vieux métaux, les vieux moteurs, les vieilles carrosseries et on se racontera nos vies !

Merci beaucoup.

Micheline Bourguinet

 

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