Un lieu de Souvenir

C’est le grand et ultime rendez-vous, là où reposent tous les gens que l’on a connus et côtoyés !
Je n’ai jamais quitté ma ville et j’ai donc fréquenté, pendant toute ma vie, les mêmes rues, les mêmes écoles, la même église, les mêmes quartiers, les mêmes personnages.
Je les retrouve tous réunis dans le même cimetière !
cimetiere-1Une belle continuité, un parcours tout simple, de la mort à la vie…
Je me promène dans les allées, tout est fleuri, nettoyé, on sent le jardin propret.
Dans une allée, la plus large, quelques riches tombes attestent la position de certaines familles, commerçants ou docteurs, professeurs, ou politiques…
Les gens plus simples occupent les rangées où les tombes sont serrées et se ressemblent. Ce sont des locataires d’immeuble, des ouvriers d’usine, des gens habitués à vivre ensemble. Les monuments se ressemblent aussi, du granit pour la plupart, tous aussi à même hauteur…
Comme cela est parlant…et donne la position sociale.
Je parcours ces allées en lisant les noms. Je connais presque toujours quelqu’un de cette famille si ce n’est les personnes elles-mêmes. Et je m’amuse à compter les années… Tiens, cela fait déjà 25 ans que ma voisine nous a quittés ! Elle tenait une épicerie et nous rendait de nombreux services. Par exemple, elle nous servait parfois le soir, ou le dimanche lorsque l’on avait oublié quelque chose. Je caresse un peu sa photo et lui dis : Salut, t’étais sympa… On ne t’oubliera pas !
Je m’assieds sur un banc près de la fontaine, en contemplant la rangée d’arbres au feuillage rougi. Plus loin, des pives jonchent le sol. J’en ramasse quelques unes,
les plus belles pour la décoration de Noël.
J’aperçois une dame âgée, qui salue quelqu’un de la main, qui fait adieu… Et je ne vois personne ! Elle a fait adieu à son mari, enterré là il y a un mois. Et elle vient tous les jours, lui parler, lui demander de venir la chercher. Et en partant elle lui envoie un baiser, elle lui fait adieu de la main. C’est très touchant et nous parlons un moment ensemble. Sa solitude est émouvante.
Mais, qu’il vienne donc la chercher s’il l’aime…
Les tombes d’enfants sont les plus touchantes. Elles sont petites, comme des berceaux, les monuments sont souvent blancs, des textes traduisent la douleur des parents, ou la révolte.

Là aussi, des photos. Une fillette de 5 ans que j’ai bien connue et un garçon de 8 ans mort de mucoviscidose, fils d’un de nos amis.
Heureusement, les enfants sont moins nombreux, la médecine les sauve presque tous.
Je poursuis ma promenade, car je suis en pays connu, presque tous ont fait partie de ma vie à un moment ou à un autre…
Je suis maintenant devant la tombe commune, la stèle du Souvenir.
Comme c’est joli ! Deux bouquets finissent de se dessécher, mais l’ensemble est bien entretenu. Voilà une bonne solution, l’ultime simplicité dans l’anonymat. Je respecte ceux qui ont ce courage, ceux qui choisissent l’oubli et ceux qui y sont contraints ! Une stèle coûte cher !
Un ensemble de tombes là-bas, où je sais que je vais retrouver ma voisine, une femme adorable et qui manque beaucoup dans mon quartier.
Elle qui soignait son petit jardin est maintenant presque abandonnée.
Personne n’a le temps de s’occuper d’elle. J’arrose ses tristes pensées, mais ce sera trop tard, elles ont été oubliées, comme la vieille dame !
En chemin, je rencontre une dame en pleurs. Elle me fait peine à voir tant son chagrin est gros. Je l’écoute, je la comprends. Son univers s’est écroulé.
Puis je lui dis doucement que moi aussi j’ai le coeur gros, mais elle ne m’écoute pas. Seul compte son problème et cela la rend aveugle et sourde aux peines des autres. On fait sans doute tous pareil…
Je suis maintenant devant la tombe de mes parents. Le lierre qui l’entoure est le symbole de l’attachement qui nous unit, au-delà de la mort, au travers de la famille, de par la fratrie qui leur succède.
Tout au long de ma visite, je salue un ami, des parents lointains, une connaissance, des gens qui ont marqué ma jeunesse, et je les remercie pour ce qu’ils ont fait.
Un musicien célèbre est là dans l’emplacement qu’il avait choisi… Je fredonne un air pour lui et j’imagine les danseuses en costume du pays… Salut…et merci !
Ces fleurs, ces arbres, tout est arrangé pour donner aux familles l’impression d’un repos digne, d’un respect profond pour ce qu’ils ont été pour nous.
Pas de bruit, tout est paix et tranquillité. Seul un oiseau, perché sur une croix, joue l’impertinent et chante à tue-tête. La vie est plus plus forte que la mort…
Je me sens si bien dans ce champ de repos, je me prépare et cela me rassure.
Je grimpe encore sur la petite colline, d’où je domine tout le cimetière.
Un banc m’incite à un petit repos. La vue est apaisante et belle.

Tout est tranquille, je suis seule, je ferme les yeux pour me sentir plus près de ceux que j’ai perdus. Ils sont là, à côté de moi, je leur parle, je leur demande pardon, je leur dis combien je les aimais et combien je voudrais qu’ils l’aient compris plus tôt…
L’émotion m’étreint, je pleure, sans retenue, sans raison, tout m’est permis, je suis seule. Je laisse passer ce gros chagrin, il décharge mon âme, il lave mes yeux…
Je reprends doucement pied, je me suis sentie si proche de ceux qui m’ont faite telle que je suis, ceux qui m’ont donné la vie, le sens du courage dans toutes les circonstances.
Faut pas capona…disaient les vieux…
Je reprends ma balade, saluant au passage, une amie de ma mère, les parents d’une amie, une cousine morte à 20 ans… Je n’en finirai jamais avec ma ronde des disparus…
Tout au fond du cimetière, un grand mur en pierres sèches a été construit pour abriter les urnes. Le cimetière est devenu trop petit ! Déjà beaucoup de noms et de photos ! Là, l’espace de chacun est réduit à la grandeur d’une boîte aux lettres.
La mode change, les morts comme dans des HLM, chacun sa case. Cela ne me plaît guère, et pourtant il faudra s’habituer. Je reconnais plusieurs locataires, je touche leurs photos, leur dis bonjour…
Je retourne près des miens, arrange encore une fois les fleurs que le vent agite doucement….
Il fait bientôt nuit, une paix incroyable règne dans cette oasis de verdure.
La mort et la nature ne font qu’une, fondues l’une dans l’autre, pétries l’une par l’autre. Le cycle des arbres, des fleurs, et des hommes est de même nature, qui meurt et qui revit.
Le même recommencement, sauf que moi, j’ai, en plus, la MÉMOIRE des souvenirs.

2012 – Micheline Bourguinet